Chiara Maillart, étudiante, malentendante appareillée, nous a contacté cette année pour partager son film « Entre deux mondes », dont l’origine provient de sa volonté de partager son histoire avec d’autres jeunes malentendants et donner de l’espoir à des parents apprenant la surdité de leur enfant.
Au travers de ce film, elle nous confie son parcours, ses combats, sa souffrance mais aussi sa force et ses encouragements pour tous les enfants malentendants et sourds.
Après visionnage de ce film, il était évident qu’il fallait échanger avec elle pour en savoir plus. Découvrez son interview et son film.
Merci Chiara pour ce message.
1/ Bonjour Chiara, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bonjour, je m’appelle Chiara Maillart, j’ai 20 ans et je suis malentendante. J’ai une surdité légère à moyenne, bilatérale de perception et je suis appareillée depuis l’âge de 3 ans. Ce handicap a conséquemment forgé mon caractère et ma détermination. Je suis également sociable et à l’écoute des autres.
2/ Comment as-tu vécu ta surdité durant ton enfance et ton adolescence ?
Les premières années de maternelle se sont bien passées, j’ai été appareillé quelques mois après ma rentrée en petite section. J’ai eu la chance d’être très bien entourée, dans la même classe que mes amis. Les enfants à cet âge sont de nature curieuse, ma différence les intriguait sans qu’il y ait de moqueries… J’ai également rencontré ma meilleure amie à l’âge d’un an et elle deux, chez la nounou. Elle a été un véritable pilier à ce moment-là, me protégeant et m’aidant au quotidien avec mes nouveaux appareils, le retard que j’avais engendré à l’école etc…
Mais pour ma rentrée au CP, j’ai dû déménager avec ma famille et ce cocon à quelque peu disparu. Les enfants grandissent et la curiosité laisse place à l’incompréhension, malgré le fait qu’à chaque début d’année, le professeur explique aux autres élèves mon handicap. Les moqueries et remarques ont donc commencé à arriver, étant donné qu’à partir de cet âge, on voit vraiment l’impact de l’éducation des parents. C’est sûrement plus facile de se moquer que de chercher vraiment à savoir en quoi consiste cette différence. Et même si les enfants ont tendance à être méchants les uns avec les autres, j’ai eu la chance de faire quelques rencontres qui m’ont vraiment marqué et d’avoir des amis sur lesquels je pouvais compter.
Vient alors le moment du collège, une étape importante lors de l’adolescence. C’est à ce moment que l’on se forge une identité, une personnalité et un caractère. Le fait de porter des appareils ne me gênait pas, c’était plus les aménagements et la peur d’être pointée du doigt qui me faisait peur.
En effet, étant donné que j’ai les cheveux longs, ils recouvrent mes oreilles et on ne devine pas que je suis malentendante lorsque l’on me voit. Mais suite au fait que j’ai été appareillé peut être un peu tard et que j’ai eu des soucis dentaires, je garde un léger défaut de prononciation, un peu comme un zozotement et c’est vraiment ce défaut de diction qui m’a plus contrarié, car on me faisait plus de remarques là-dessus que sur le fait que je sois malentendante à proprement parler.
J’avais honte de ma voix et n’osais pas trop parler, je n’avais pas confiance en moi et même si les moqueries se sont estompées au fur et à mesure des années, j’ai enfermé ma nature sociable au fond de moi par peur du regard des autres. Les années collège ont donc été plus compliquées car j’ai inconsciemment mis un voile sur mon handicap, voulant à tout prix le cacher, alors qu’avec ma voix ce n’était pas possible et cela a engendré beaucoup d’incompréhension de la part des autres élèves et un certain décalage avec eux.
Mon année de terminale a été un véritable déclic. En seconde et en première, je commençais à me sentir plus en confiance et un peu plus moi-même, puis une rencontre a accéléré le processus.
Un nouveau dans ma classe, qui deviendra par la suite un ami, voulait devenir audio-prothésiste et il m’a alors posé de nombreuses questions à propos de mon handicap. Devant son intérêt et ses questions, j’ai réalisé que, peut être, les autres élèves avaient des interrogations eux-aussi. Sauf que je m’étais tellement enfermée dans le « je vais bien, tout va bien », dans une carapace pour me protéger, qu’ils n’osaient pas venir vers moi. Et de le voir aussi sociable avec tout le monde, j’ai réalisé qu’au fond de moi, il y avait une enfant sociable et joyeuse qui s’était cachée pendant bien trop longtemps.
C’est pourquoi, dès ma première année d’études supérieures, en école d’ingénieurs, j’ai décidé de me montrer telle que j’étais aux autres, d’aller vers eux. Et le fait d’être ouverte et de parler ouvertement de mon handicap a tout changé, dans le sens où les autres étaient plus à l’aise de m’en parler, ils voulaient connaître, savoir… et ça a été un véritable soulagement et un énorme pas en avant.
3/ Qu’est ce qui t’a poussé à réaliser ce film ?
Tout d’abord, le fait de voir que les autres étaient intéressés par mon histoire et ma différence a été un véritable moteur pour moi. Ensuite, je voulais expliquer à mes proches la transition et, à ceux qui me connaissent maintenant, mon histoire, ce par quoi j’étais passée.
En fin de première année nous étions sensé faire un court métrage sur le sujet de notre choix. Avec mon groupe nous avions choisi un sujet qui n’avait rien à voir avec la surdité, mais lorsque ce projet a été annulé à cause du Covid, j’ai réalisé qu’au fond de moi c’était ce que je voulais faire.
Au départ c’était un simple clip musical et muet, permettant alors de mettre ce handicap en valeur de façon artistique – la photographie et le cinéma étant deux passions très importantes dans ma vie –. Mais lorsque j’ai fini de filmer les images du clip, j’ai réalisé que je voulais compléter certains aspects de la surdité, ce qu’un simple clip tel quel ne me permettait pas de faire.
J’ai alors parlé de mon projet à mes proches afin qu’ils témoignent eux aussi, pour apporter un point de vue global sur la surdité. C’est pourquoi on peut retrouver dans le film mes parents, des amis entendants, différentes personnes touchées par la surdité à différents degrés…
C’était également très important pour moi de mettre en valeur les jeunes de mon âge pour en finir avec l’image de la surdité lors de la vieillesse, de sensibiliser et d’aider les parents venant d’apprendre que leur enfant est malentendant.
Parce que la surdité peut toucher n’importe qui, à n’importe quel moment, à différents degrés, une oreille, les deux… C’est tellement vaste et trop peu connu je trouve. Le fait d’en parler permettra d’éviter de plus en plus les remarques, les moqueries ou encore les regards malveillants. Les gens ont peur de la différence, lorsqu’ils ne connaissent pas quelque chose.
Le film est donc sorti il y a un peu plus d’un mois, après environ un an de travail, entre l’écriture et la réalisation. Les retours que je reçois chaque jours dépassent toutes mes espérances. Je me rends compte de la chance que j’ai eu, mais aussi à quel point j’aurais apprécié que quelqu’un me tienne la main et me dise « tout ira bien, tu n’es pas toute seule dans ce combat ».
4/ Quel est ton parcours étudiant ?
Je suis actuellement en deuxième année à l’ISARA Lyon, une école d’ingénieurs spécialisée en agronomie et agriculture.
5/ Quel accueil as-tu reçu ? Quelles adaptations ont été mise en place dans ta classe ?
J’ai tout de suite été bien intégrée, le fait d’avoir été directement plus transparente sur mon handicap a aidé et les autres étaient aussi à l’écoute de mes besoins, gentils et matures.
L’équipe enseignante a été prévenue de mon handicap dès la rentrée et à chaque début de cours j’apporte un micro connecté à mes appareils en Bluetooth, que le professeur a juste besoin de placer autour de son cou comme un collier. Ce micro m’a également permis de parler plus ouvertement de mon handicap aux autres car il constituait un premier point d’accroche dans la discussion.
6/ Quelles difficultés as tu rencontrées ? Quelles solutions as-tu réussi à mettre en place ?
En maternelle, j’avais un certain retard à l’école car je parlais très peu, vu que j’ai été appareillée tard. Mais je me suis accrochée et après de nombreuses heures chez l’orthophoniste, j’ai rattrapé peu à peu mon retard jusqu’au CP, une étape très importante avec l’apprentissage de la lecture, où je n’avais plus aucun souci scolaire après cela.
L’aspect social étant la plus grosse difficulté, le fait d’en parler et d’accepter moi-même qui je suis ainsi que mon handicap, cela a vraiment changé la donne.
Avant d’avoir ce micro, véritable pépite de la technologie actuelle, je devais me mettre devant l’enseignant. Maintenant je récupère les notes de mes voisins de table pour les mots que j’ai mal entendu. En effet, étant donné que je suis des études scientifiques, c’est parfois compliqué pour moi en classe, ou encore en amphi maintenant, d’arriver à tout suivre et de bien prendre des notes, surtout pour les mots scientifiques que je n’ai jamais entendu avant.
Je suis également dispensée d’épreuves orales, comme les compréhensions orales en langues. A vrai dire, je n’aimais pas ces aménagements car je trouvais que ça me pointait du doigt, mais avec le recul cela m’a été d’une grande aide et ça l’est encore aujourd’hui.
Puis, les cours me fatiguent très vite, ou lorsque je suis dans un environnement bruyant et que beaucoup de personnes parlent en même temps, que je n’arrive plus à suivre une seule conversation à la fois. Comme je confonds certains sons, le « b » et le « d » ou encore le « m » et le « n », je fais donc de la compensation mentale : je vais compenser le mot manquant avec le sens de la phrase. Il n’y a pas vraiment de solution, c’est plus une faculté mais disons que c’est pour cela je dois bien faire attention à avoir une quantité de sommeil suffisante.
7/ Tes relations avec tes camarades ? Particularité ou intégré au même titre que les autres ? As-tu un tuteur ou personne sur qui tu peux compter si tu as besoin ?
Mes relations avec les autres de ma promotion sont très bonnes, ils sont tous au courant. Le film a aidé d’autant plus à faire parler de ce handicap et à libérer les questions vis-à-vis de ce sujet. Je vis ma vie étudiante du mieux possible avec le Covid et je suis totalement intégrée, je fais les mêmes activités que les autres (bars, amphis, boîtes etc…).
En cours, les enseignant sont à l’écoute si j’ai besoin d’aide et une responsable d’année s’occupe de toute la promotion et fait en sorte que nos années à l’Isara se passent du mieux possible. On peut donc se référer à elle au moindre problème.
8/ Y a-t-il un domaine / activités que tu conseilles à nos jeunes implantés de privilégier ? Pourquoi ?
Je pense tout d’abord que la surdité ne doit pas être un frein pour un malentendant pour atteindre son rêve ou pour faire les activités qu’il aime. Il est très important que chacun fasse ce qui lui fait plaisir et vibrer dans la vie.
Après je pense que le domaine de la photographie est un milieu accessible étant donné que la surdité à tendance à renforcer l’observation chez les malentendants. En effet, le fait de perdre une partie, voire la totalité de l’audition, on va compenser avec d’autres sens et d’autres facultés comme la lecture labiale par exemple.
Dans mon film, l’un des témoins malentendants explique sa passion pour la musique et le fait que même si c’est un domaine qui semble réservé aux entendants « chacun peut ressentir et apprécier la musique » avec ses propres capacités et moyens.
9/ As-tu des conseils pour bien préparer son intégration scolaire ?
Soyez-vous-même, c’est un peu bateau à dire mais cela permet de dédramatiser la handicap. Ensuite il faut rester ouvert aux questions. Malheureusement des moqueries et des remarques il y en aura mais il ne faut pas s’arrêter à ça, il y a des tas de personnes extraordinaires qui n’attendent que de croiser votre chemin.
Pour tout ce qui est des examens officiels et examens au sein de votre école, n’hésitez pas à poser des questions sur les aménagements possibles, à en parler avec vos enseignants pour vous préparer au mieux. Pareil pour ce qui est des aménagements lors du suivi des cours, comme le micro dont je bénéficie par exemple, n’hésitez pas à demander à votre audioprothésiste et à faire appel à votre établissement.
Pour les enfants, le fait d’expliquer aux autres élèves en quoi consiste ce handicap à chaque début d’année, peut grandement aider pour l’intégration de celui-ci dans la classe. Pour ma part on l’expliquait à l’aide d’un livre pour enfants, l’histoire d’un éléphant malentendant (Oliver, l’enfant qui entendait mal, édité par PHONAK). Et au fur et à mesure des années, j’étais en capacité d’expliquer moi-même aux autres camarades et aux enseignants.
Merci beaucoup Chiara pour le temps que tu nous as consacré,
******et le partage de ton film.******