Une maîtresse de maternelle nous raconte sa première année avec un enfant sourd implanté cochléaire

Lorsque l’on a un enfant sourd implanté, en tant que parents, nous nous demandons comment sera sa scolarisation.

Sera-t-il en intégration totale ou en école spécialisée ? S’adaptera-t-il facilement ? Comment seront les autres enfants de sa classe avec lui ? Et la maîtresse ? Saura-t-elle avoir les bons réflexes ? Sera-t-il bien encadré ?

Karine, maîtresse en maternelle, a gentiment accepté de répondre à nos questions pour nous partager son témoignage, ses appréhensions, son travail, son expérience et sa relation avec Eléonore durant cette année.

Nous la remercions pour son temps et sa bienveillance.

Témoignage de Karine Prigent, la maîtresse d’Eléonore.


GC :
Connaissiez-vous les implants cochléaires ?

Avant d’accueillir Eléonore dans ma classe, je ne connaissais pas l’existence de cette nouvelle technologie.


G
C : Un accompagnement vous a-t-il été proposé pour l’accueil et l’intégration d’Eléonore ?

Dans un premier temps, dès la rentrée scolaire, j’ai eu un rendez-vous individuel avec les parents qui ont pu me donner des explications et des précisions sur les implants cochléaires : comment fonctionnent-ils ? Comment maintenir les appareils ? Comment changer les batteries (…) ?

Je pense qu’une bonne communication et une mise en confiance avec les parents est essentielle afin que tout le monde soit rassuré et que l’enfant puisse se sentir dès le départ en sécurité. Il est important de créer et de maintenir des relations de confiance avec les parents, condition indispensable à une intégration réussie à l’école.

Dans un second temps, une enseignante spécialisée dans la surdité est venue dans ma classe afin d’observer Eléonore. S’en est suivi un entretien avec l’intervenante dans l’optique de me confirmer la pertinence des outils que j’avais pu mettre en place et qu’elle me donne d’autres pistes de travail.

Par ailleurs, j’ai contacté l’orthophoniste d’Eléonore pour échanger avec un professionnel de santé.

Par conséquent, collaborer avec toutes les personnes qui interviennent auprès de l’enfant est important.

 

GC : De votre côté, avez-vous mis en place des actions spécifiques ?

En Petite Section, les repérages visuels sont primordiaux et encore plus pour un enfant sourd.
Par conséquent, j’ai mis en place un système avec des cadres de couleurs pour une meilleure visualisation des ateliers. Sur ce cadre apparaît l’activité du jour en image, celui- ci étant posé sur la table de travail.

L’emploi du temps de la journée est composé d’images que les enfants retirent au fur et à mesure afin de favoriser le repérage temporel.
De même, les règles de vie de la classe élaborées par les enfants ont été mimées et photographiées.

Enfin, j’utilise des boîtes à raconter liées à l’album étudié dans le but de favoriser le langage oral. Cette boîte est manipulée par deux enfants, dans un coin confiné de la classe.

 

GC : La présence d’un enfant sourd implanté modifie-t-elle votre façon de travailler ?

Cela ne modifie en rien les apprentissages et les objectifs à atteindre. Par contre, la présence d’un enfant sourd influe sur mon comportement puisque j’utilise beaucoup plus la gestuelle, j’articule davantage et j’essaye de parler en face à face avec cet enfant.

En parallèle des comptines et chansons apprises, j’ai effectué un réel travail autour de l’écoute et du son à travers des activités musicales telles que l’intensité de la voix, la pulsation, la boîte à sons et les instruments de musique.

 

GC : Est ce qu’il y a certaines activités qu’Eléonore ne fait pas par rapport aux autres ?

Eléonore est une petite fille volontaire qui s’implique dans toutes les activités proposées, que ce soit en classe ou en salle de motricité (parcours de motricité, jeux collectifs ou danse).

 

GC : Constatez-vous de la part d’Eléonore de la frustration dans la communication ?

Eléonore ne semble pas frustrée pour communiquer avec autrui. Effectivement, il lui a fallu un temps d’adaptation pour observer le fonctionnement de la classe, l’attitude des autres enfants à son égard, observation nécessaire pour se sentir en sécurité. Après avoir pris ses marques et, une fois en confiance avec l’adulte et le groupe classe, elle a osé prendre la parole. J’utilise un bâton de parole pour que chacun puisse s’exprimer, en particulier les plus timides, et cette aide a aussi permis à Eléonore de libérer peu à peu sa parole. C’est une élève qui ose chanter en groupe et qui joue avec autrui, la gestuelle est de moins en moins présente laissant place à une communication plus spontanée.

Enfin, je transmets quotidiennement les nouvelles comptines ou chansons ainsi que l’album étudié aux parents, supports réutilisés par l’orthophoniste.

 

GC : Les autres enfants de la classe ont-ils conscience du handicap d’Eléonore ? Est-ce qu’ils ont tendance à toucher à ses appareils ?

Dès la deuxième semaine de rentrée, j’ai parlé aux élèves du handicap d’Eléonore en accentuant sur le fait que sans ses appareils elle ne pouvait pas les entendre. Les enfants ont tout à fait compris la nécessité des appareils, leur fragilité et ils n’ont jamais tenté d’y toucher. A partir du moment où on leur explique simplement, les enfants comprennent très bien et cette relation de confiance avec le groupe est une première amorce pour intégrer un enfant en situation de handicap.


GC :
Dans un environnement bruyant, constatez-vous une gêne particulière ?

J’ai actuellement une classe de 31 Petits. En début d’année, il est difficile d’exiger de leur part le silence. Cet aspect faisant partie des apprentissages, nous avons élaboré ensemble les règles de vie de la classe (comme « ne pas crier », « s’écouter au coin regroupement ») ce qui a permis d’améliorer le volume sonore et d’évoluer dans un environnement plus serein. Par ailleurs, j’utilise la mascotte de la classe pour signaler que le volume sonore est trop fort afin de ne pas associer Eléonore au bruit et de ne pas stigmatiser l’enfant par son handicap.

De plus, je mets un point d’honneur à ce que les élèves travaillent dans un environnement calme, propice aux apprentissages et qui favorise la concentration.

Dans ce climat de classe, Eléonore n’a jamais signalé qu’elle pouvait être gênée par le bruit et n’a jamais retiré ses appareils en signe de saturation ou de protestation.


GC :
Trouvez-vous justifié le choix de ne pas faire appel à un AESH ou pensez-vous que cela soit nécessaire ?

En ce qui concerne le cas d’Eléonore, une aide humaine en classe n’est pas nécessaire car c’est une élève autonome qui s’est adaptée sans difficulté. Par contre, un enfant qui se met à l’écart du groupe, qui est exclu par les autres, qui ne rentre pas dans les apprentissages ou qui rencontre des problèmes de compréhension, nécessiterait une aide pour le guider, l’encourager et l’intégrer.


G
: Pensez-vous que le port du masque constitue un frein dans l’acquisition de la parole ?

Effectivement, le port du masque est un frein dans l’acquisition de la parole car les enfants ne peuvent pas voir les mouvements de la bouche. Le masque favorise le fait que les expressions du visage ne passent désormais plus que par les yeux. C’est la combinaison du regard et de la bouche qui permet une pleine communication.

Pour ma part, je porte depuis le début de l’année un masque transparent, plus contraignant tout au long d’une journée mais qui est essentiel en Petite Section et, plus largement, en maternelle. Ce masque transparent est davantage propice aux apprentissages de tout ordre (émotionnels, langagiers).


GC :
Faut-il faire une différence entre Eléonore et les autres enfants ?

Il est primordial, pour une intégration réussie, de ne pas faire de différence entre un enfant porteur de handicap et les autres. Eléonore est une enfant qui se comporte comme les autres enfants, voire même plus attentive et concentrée, aspects liés à son handicap.

En début d’année, j’étais plus vigilante envers Eléonore dans l’optique que son intégration se déroule favorablement et que je m’assure qu’elle comprenne le mieux possible. Par ailleurs, mon regard se tournait souvent vers ses appareils afin de vérifier leur bon fonctionnement.

Puis, par une mise en confiance et par le fait qu’Eléonore progressait positivement, mon regard s’est moins focalisé sur elle. Eléonore est capable, maintenant, de me prévenir quand ses appareils ne fonctionnent pas, elle est à l’aise dans la classe et ces points prouvent qu’elle est en confiance. Cela m’a rassuré pour la laisser évoluer pleinement.

C’est une enfant qui a besoin d’être considérée comme les autres et qui le revendique en demandant de rester la journée entière à l’école. C’est la raison pour laquelle, Eléonore est accueillie un après-midi afin de manger à la cantine, de dormir à la sieste et de participer aux activités avec ses camarades de classe.

En conclusion, pour accueillir un enfant porteur de handicap et, en particulier, un enfant sourd implanté, il est important que l’enseignant(e) soit non seulement volontaire mais également motivé(e) pour impulser une meilleure adaptation. L’envie de s’informer, de s’investir et de s’impliquer participent à la réussite de l’intégration.

Sites consultés par la maîtresse pour mieux connaître les implants cochléaires :

– Guide et livret d’accueil sur Implantcochleaire.blogspot.com

Guide pour les enseignants qui accueillent un élève présentant une déficience auditive

– Surdité, signe à l’école, validées-eklablog.com

Scolarisation des jeunes sourds ou malentendants (Ministère de l’Education)

– L’image comme support d’apprentissage pour l’enfant sourd, atelieroptiona.free.fr