Interview passionnante avec une orthophoniste pour enfants sourds

Rencontre avec une orthophoniste spécialiste des enfants sourds… quelques minutes d’échanges très enrichissants…

1) Y-a-t-il une différence entre l’orthophonie et l’orthophonie pour patients sourds ? Et y-at-il une différence entre l’orthophonie pour patients sourds portant des prothèses et les patients sourd implantés ?

Il n’y a pas de différence entre l’orthophonie « classique » et l’orthophonie pour les patients sourds. Les mêmes domaines y sont abordés : phonologie, lexique, syntaxe… Cependant, l’éducation auditive chez les patients sourds occupe une place privilégiée dans la rééducation. (cf. question n°2). Il n’y a pas de différence entre l’orthophonie pour les patients sourds profond porteurs de prothèses conventionnelles et les patients porteurs d’implant cochléaire, si le patient a une bonne récupération auditive avec ses prothèses.

2) Quelle est la spécificité de l’orthophonie dédiée aux patients porteurs d’implant cochléaire ?
3) Que corrige l’orthophoniste ?

L’objectif de l’orthophoniste pour les patients porteurs d’implant cochléaire est de développer le langage oral (associé ou pas à un projet bilingue). L’éducation auditive a pour but la réhabilitation de la fonction auditive. L’enfant sourd congénital va donc partir à la découverte du monde sonore. Il faut qu’il apprenne à écouter, puis décoder et comprendre ce qui se passe autour de lui. L’enfant va mettre du sens sur ce qu’il perçoit. (Il y a du bruit ou pas ? qu’est-ce que j’entends ? qu’est-ce que j’ai compris ? …). Ne pas oublier la différence entre « entendre » et « comprendre » : si on me parle en chinois, je ne vais pas comprendre le message oral de mon interlocuteur, pourtant je l’ai bien entendu. Autre point important à travailler pour l’orthophoniste : la parole. Le but étant que l’enfant sourd soit intelligible par son interlocuteur et si possible n’importe quel interlocuteur qu’il soit ou pas connu de l’enfant. Si l’implantation est précoce, le contrôle audiophonatoire (processus naturel et inconscient utilisé par l’enfant normo-entendant : il écoute, reproduit ce qu’il entend, réentend le modèle et se corrige si besoin) se fait spontanément et en général, le patient sera intelligible. Enfin, l’orthophoniste veillera à développer la communication orale. L’audition avec l’implant est certes fonctionnelle, mais pas suffisante pour acquérir le langage par imprégnation. Le travail autour du lexique et de la syntaxe sera important en vue d’une bonne maîtrise de la langue. 2 Il faudra bien évidemment faire tout cela de façon ludique et attractive pour que l’enfant ait du plaisir à écouter et communiquer sans avoir l’impression de « travailler ».

4) Comment détermine-t-on le nombre de séances nécessaires et leur durée ?

Depuis la loi du 2 janvier 2002, l’enfant sourd bénéficie d’un parcours personnalisé. Le projet de rééducation se construit au fur et à mesure et évolue avec l’enfant. Quel que soit le nombre de séance, la prise en charge doit être régulière et fréquente et s’envisage sur du long terme. Au CAMSP, selon l’âge de l’enfant, le nombre de séances d’orthophonie varie. Elles sont souvent associées à une séance de groupe. Quand l’enfant a un an ou moins, la séance peut se faire à domicile. Cela durera une heure environ. Ensuite, les séances de 45 minutes, ont lieu au Centre deux, voire trois fois par semaine. En fonction de l’âge de l’enfant et de ses capacités, des bilans orthophoniques peuvent être proposés pour évaluer où en est l’enfant. Cela permet de voir si la prise en charge est adaptée et de la réajuster si ce n’est pas le cas. On peut aussi relever une éventuelle difficulté ou un trouble associé et adapter la prise en charge pour en limiter les conséquences.

5) Pour un enfant implanté qui participe à un nombre adéquat de séances d’orthophonie par semaine, à quoi sert un bilan orthophonique pratiqué à l’hôpital ?

Le bilan orthophonique pratiqué à l’hôpital permet de suivre l’évolution de l’enfant sourd implanté au niveau perceptif et au niveau langagier. On cherche à répondre à la question : comment l’enfant se sert-il de son implant ?

6) A quoi correspond un bilan d’orthophonie ? Qu’est-il censé déterminer ?

Le bilan se découpe en trois parties. La partie perceptive du bilan cherche à comprendre comment sont perçues les informations auditives. Est-ce que l’enfant peut identifier en liste fermée ou en liste ouverte des bruits très différenciés ou au contraire proches ? Des phonèmes ? Des mots ? Des phrases ? Est-ce que la lecture labiale aide ou pas à la compréhension du message oral ? Comment cela se passe-t-il dans le bruit? Les épreuves proposées ont été élaborées par l’équipe d’implantation de l’hôpital pour enfants Armand Trousseau ou empruntées à d’autres protocoles. La partie communication proposée aux enfants plus jeunes, cherche à analyser les compétences de communication. Est-ce que l’enfant a les pré-requis à la communication ? (attention conjointe, pointage, regards…) Et enfin, la partie plus centrée sur le langage oral qui cherche à évaluer le niveau linguistique de l’enfant aussi bien en expression qu’en compréhension. (Tests étalonnés)

7) Existe-t-il des bilans d’orthophonie adaptés aux enfants sourds ? Et aux enfants sourds implantés ?
8) Du coup, que mesure vraiment ce bilan ?

De manière générale, les bilans de langage sont étalonnés pour une population entendante. Sauf le Gael-P test, qui est étalonné pour les enfants sourds. Pour les résultats perceptifs, les résultats obtenus auprès d’un grand nombre de patients permettent de comparer les enfants implantés entre eux, malgré une grande variabilité (âge du diagnostic, prise en charge, âge de l’implantation…). Le bilan permet donc d’évaluer l’enfant par rapport à lui-même et par rapport aux autres enfants sourds implantés. Son évolution est-elle harmonieuse ou pas ? Il est important que ces bilans se fassent régulièrement (3, 6, 12, 18 et 24 mois après le premier réglage, puis une fois par an). En fonction des résultats obtenus, on peut parfois ajuster les réglages (programme dans le bruit…).

9) Comment les résultats des exercices effectués durant ces bilans sont-ils restitués aux parents ? Y-a-t-il des systèmes de notation ou de barème ?

Généralement, les parents n’assistent pas au bilan orthophonique, sauf quand l’enfant est très jeune. Cependant, les résultats des différentes épreuves leur sont restitués en fin de bilan. Un compte-rendu est envoyé à l’équipe de suivi.

10) Quelle est la pertinence des résultats de ces bilans ?

Bien entendu, les résultats obtenus lors du bilan passé à l’hôpital doivent être nuancés par les différentes observations : parents, professionnels en charge du suivi de l’enfant. Tous les enfants ne sont pas forcément à l’aise en situation de testing, avec une personne pas ou peu connue. C’est pourquoi, il est intéressant de venir régulièrement à l’hôpital pour que l’enfant connaisse les lieux et les professionnels et qu’il s’habitue aux différentes épreuves. Le but étant de savoir comment l’enfant utilise son implant et où il en est de sa communication orale.

11) Durant vos entretiens avec vos patients, quel moyen de communication utilisez-vous : français oral, LSF, LPC ?

Tous les moyens de communication sont utilisés en fonction du mode de communication privilégié par l’enfant. Le français signé ou le LPC peuvent être utilisés pour aider à la compréhension du message oral, une consigne par exemple mais ils ne seront pas utilisés pendant l’épreuve perceptive, puisque l’on cherche à évaluer le canal auditif uniquement. Mais, en règle générale, on s’adapte et on s’approche des habitudes de l’enfant.

12) Pour un enfant sourd implanté, est-il plus compliqué d’entrer dans la langue française parlée/ écrite s’il utilise la LSF que s’il utilise le LPC ? Pourquoi ?

Il est important que l’enfant reçoive un bon modèle de langue, qu’elle soit orale seule ou accompagnée du LPC ou signée.

13) Selon vous, quels types d’exercices/ jeux faudrait-il mettre en place pour que le bilan soit plus adapté aux enfants sourds ?

Il n’est pas toujours facile, surtout pour les plus petits de participer, de s’exprimer spontanément ou de répéter ce qu’il entend de la voix de son interlocuteur ou d’après un enregistrement, surtout avec un observateur peu ou pas connu, qui prend des notes dès que l’enfant dit quelque chose. Le cahier de vie ou le cahier d’orthophonie que l’enfant a l’habitude d’utiliser ou un jeu qu’il affectionne peut être un bon début pour commencer une communication. On peut faire du langage avec tout ou avec n’importe quelle situation (un livre vu dans la salle d’attente, une nouvelle tenue vestimentaire …). Tout peut être prétexte à communiquer, à échanger. Le tout c’est de donner envie à l’enfant de s’exprimer.