Masques inclusifs au quotidien : l’interview d’une orthophoniste du CEOP

Anne-Laure Domer, orthophoniste au CEOP (Centre Expérimental Orthophonique et Pédagogique) nous parle de la mise en place des masques inclusifs pour les professionnels et pour les enfants.

Merci également à Mme Delphine Poisson (directrice du CEOP) et Mme Nathalie Brenner (orthophoniste) qui ont contribué à cet article.

Bonjour Anne-Laure, en raison du contexte sanitaire, le port du masque est désormais obligatoire pour tous. Pouvez-vous nous expliquer quelles difficultés la généralisation du port du masque peut entrainer pour nos enfants sourds ?

Bonjour, effectivement comme n’importe quel enfant de plus de 6 ans scolarisé en France, les enfants sourds du CEOP ont dû porter un masque. En tant qu’enfant, ils ont eu les mêmes réactions que celles que l’on peut voir dans les écoles : certains n’ont eu aucun problème d’adaptation, d’autres avaient peur de ne pas bien respirer, certains avaient régulièrement leurs masques mouillés pour diverses raisons (respiration buccale, contact de leur langue et de leurs lèvres avec le masque, effort physique, rhume etc.). Nous avons donc travaillé avec eux comment se comporter avec un masque (éviter de le toucher, le porter sur la bouche et sur le nez) et la plupart des enfants ont très bien géré les différents inconvénients que celui-ci impliquait. Entrons maintenant dans le vif du sujet et de ce que cela implique pour un enfant sourd. Je dirais qu’il y a trois grands aspects que le masque entrave : la lecture labiale (et les labialisations en LSF), la propagation du son et l’interprétation des mimiques. Initialement, seuls les professionnels avaient cette problématique et nous avons adapté nos prises en charge. En revanche, depuis la rentrée des vacances de la Toussaint, les enfants ont dû faire face à cette nouvelle épreuve : communiquer avec leurs pairs en étant masqués. En fonction de l’appareillage, des troubles qui peuvent être associés et le mode de communication utilisé cela a eu différents impacts. Nous notons toutefois que le problème principal se manifeste pendant les temps informels. En effet, pendant ces temps, les enfants ne disposent pas en permanence de l’intermédiaire de l’adulte pour pallier les difficultés de communication or ceux-ci sont souvent bruyants (récréation, cantine) ce qui, en situation normale, est déjà compliqué à gérer pour un enfant sourd. L’autre aspect concerne l’articulation, en effet, en tant que professionnels, il est plus difficile de contrôler la bonne exécution des sons,  la mobilisation des différents organes bucco-phonateurs et de corriger les productions lorsque l’enfant est masqué.

GC: Face à ces difficultés, avez-vous adapté votre travail pour faciliter la compréhension des enfants malgré le port du masque ?

Au CEOP, nous avons déjà l’habitude de varier et de multiplier les supports pour faciliter la compréhension de l’ensemble du groupe car chaque enfant a des besoins particuliers (appareillage et mode communication qui peuvent être différents et prise en compte des troubles associés). Lors de la rentrée du premier confinement, nous n’avions pas encore de masques transparents. Ceci a été gênant pour les enfants qui compensent par la lecture labiale ou qui ont besoin de la LfPC. Pour ma part, j’ai multiplié les supports écrits. Je me suis également filmée pour les dictées, la découverte de nouveaux mots etc. Pour la dictée, par exemple, avec un groupe de CE1, j’ai pris l’habitude de réaliser trois vidéos sans masque: une ou je dicte simplement, une autre avec la LfPC et une dernière avec les gestes Borel Maisonny. Il m’arrivait également parfois de demander à un enfant du groupe, avec un gain auditif suffisant, de répéter ma production devant les autres. Pour un grand nombre d’enfants ayant un bon gain prothétique, le masque chirurgical n’a pas été un problème trop important pour communiquer étant donné que nous sommes dans de petites classes (2 à 8 élèves maximum) et que nous travaillons avec eux depuis qu’ils sont petits les moyens de compenser le manque d’indices visuels. Il en est de même pour ceux maitrisant bien la langue des signes. En revanche, ces compensations ont entraîné de la fatigabilité, il fallait donc également adapter le rythme de travail.

GC: Depuis quelque temps, des masques avec une fenêtre transparente sont utilisés au CEOP. Pouvez vous partager votre retour d’expérience sur ces masques ?

Ces masques ont été une étape importante puisque qu’ils ont permis de pallier deux des aspects que j’ai relevés dans la première partie de votre interview : la lecture labiale et l’interprétation des mimiques. Celui-ci nous permettait également de pouvoir réintroduire la LfPC.

Ces masques sont donc d’une grande utilité pour les enfants même s’ils sont moins confortables qu’un masque chirurgical pour les professionnels qui les portent : chaleur, humidité et tissus irritant étant les trois points les moins agréables.

Ces masques produisent également de la buée mais les enfants nous disent régulièrement que celle-ci est préférable à l’obturation complète du masque chirurgical. Enfin, le plastique modifie quelque peu la qualité du son, il faut donc veiller à s’exprimer suffisamment clairement.


GC: Sur quels critères avez vous sélectionné les masques utilisés au CEOP ?

Le critère premier était l’homologation pour garantir la sécurité des professionnels et des enfants. Une fois les premiers masques homologués mis sur le marché, les temps de livraison ont été longs car nous n’étions pas les seuls concernés (autres centres, cabinets libéraux, particuliers mais aussi les écoles maternelles étaient demandeurs). Nous avons donc dû attendre jusqu’au 18 septembre pour enfin les recevoir. Par la suite grâce à la FISAF, nous avons pu être livrés plus rapidement.  Lors de la première commande seuls deux sites produisaient des masques homologués nous n’avons donc pas eu vraiment le choix, leurs critères étant relativement similaires. Nous souhaitions bien sûr que le plastique ne produise pas de buée et même si ceci est garanti sur le site, malgré un protocole de lavage contraignant respecté (sans détergent, à 60°), il semble qu’il n’y ait pas encore de solution miracle.

GC: Avez-vous essayé différents types de masque ? Si oui, quels sont les avantages/inconvénients de chaque type ? Y en a t-il certains que vous recommanderiez ?

Jusqu’à maintenant, nous avons essayé deux marques de masques dont deux modèles différents dans l’une de ces marques.

La première commande a été faite chez « masque inclusif APF». Nous avions d’abord la version avec élastiques. L’avantage principal est la grande fenêtre. Les inconvénients concernent la buée (malgré le respect du protocole de lavage), le tissu légèrement irritable et le fait qu’il ne soit pas suffisamment resserré sur les côtés donc moins sécurisant qu’un masque chirurgical. La version avec lacets que nous avons reçue ensuite était plus couvrante mais est plus contraignante lorsque nous devons nous moucher ou boire.

L’autre marque est Lainière santé qui a l’avantage de proposer plusieurs tailles, nous observons cependant les mêmes inconvénients : chaleur, humidité et buée. Celui-ci a l’avantage et l’inconvénient d’être plus couvrant : en effet, la protection est meilleure mais le contact du plastique et des lèvres est plus fréquent, peut-être n’ai-je pas pris la taille qui me convenait car au sein de mes collègues, les avis sont partagés quant à cet aspect.

Il n’y en a pas un que je recommanderais plus que l’autre, même si ceux-ci ne sont pas encore optimisés, ils ont le mérite de nous permettre de travailler dans de bonnes conditions sans prendre le risque d’être contaminés.

Quels sont les retours des enfants sur ces masques ?

L’APES, notre association de parents, a offert des masques inclusifs de taille adaptée à chaque enfant du CEOP. Les enfants étaient ravis de pouvoir récupérer un peu de naturel dans leurs échanges. Ce masque est pratique mais beaucoup d’entre eux ne le supporte pas 4h d’affilée car ils ont les mêmes difficultés que les adultes : chaleur et humidité qui nous empêchent d’oublier que nous portons un masque. Je propose donc aux enfants avec qui je travaille de les porter en séance d’orthophonie et pendant les temps informels où l’enfant sera davantage livré à lui-même pour communiquer.

Concernant le port de ce type de masque par les professionnels, les enfants apprécient nettement ce changement car il leur permet de retourner à la situation qu’ils vivaient avant le premier confinement et d’avoir une communication plus fluide et de faire des apprentissages sans que se surajoute la fatigue due aux compensations à faire avec le masque. Ils nous font remarquer la buée que nous essayons régulièrement d’éliminer et la plupart nous disent que même s’il y a de la buée, ils préfèrent cela au masque chirurgical.

Merci beaucoup Anne-Laure pour votre témoignage et votre investissement au quotidien auprès de nos enfants.